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Le zoom est un article de fond présentant l’activité d’un membre du réseau.

L'Institut National des Jeunes Sourds de Paris
De la maternelle à la terminale, l’INJS accueille, au cœur du 5ème arrondissement de Paris, des enfants sourds et malentendants.
L’établissement médico-social dispense aux élèves un enseignement qui vient compléter un parcours scolaire en milieu ordinaire ou bien accompagne des jeunes les plus en difficulté dans la globalité de leurs apprentissages.
Présentation d’un établissement médico-social ouvert aux projets innovants et aux expériences inédites en compagnie de son Directeur, Monsieur Dutheil et d’une enseignante spécialisée, Mademoiselle Falcucci.

Quand on parle de musique et de surdité, la combinaison étonne encore.
Pourquoi faire de la musique si on n’entend pas ou mal ?
Rappelons que la conduction des vibrations par les os et les organes est un autre moyen que les oreilles pour apprécier les sons. 
Comment considérez-vous la place de la musique et par extension de la culture au sein de l’INJS ?

Monsieur Dutheil
Après mon arrivée il y a deux ans, j’ai constaté rapidement que la dimension culturelle n’était pas réellement prise en compte dans le projet des jeunes. Nous avons développé des actions culturelles dans divers domaines : nous a monté un cinéclub avec l’association Art’Signes avec traduction en langue des signes des films et débats. Nous voudrions développer le théâtre et l’art plastique aussi.
Concernant la musique, il nous est arrivé d’organiser des concerts de musique au sein de l’Institut mais qui n’étaient pas accessibles aux élèves. Les associations pouvaient emprunter la grande salle de réception. Cela faisait venir des personnes extérieures et nous en étions contents.
A partir de là, on s’est posé la question de l’accessibilité de la musique pour nos élèves. 
Pourquoi en rester là ? 
J’aime ce qui est paradoxale : La musique dans un institut pour sourds… L’idée me plaisait. On sait que les jeunes peuvent accéder facilement à la musique, nos élèves sont les premiers à ne quitter que trop rarement leurs écouteurs de MP3 et organise des fêtes où la musique est poussée au maximum. Il n’y avait donc pas de raison de les empêcher d’avoir accès à la pratique musicale.
C’est avec ce constat et ce bagage que nous avons démarré. Il se trouve qu’Elsa (Falcucci) nous a proposé un certains nombre de choses : on a réussi à mener une activité de percussions avec une association de musique traditionnelle mauricienne qui a débouché sur un spectacle à la Fête de la Musique par exemple.
L’idée est de maintenant d’avoir un projet pédagogiquement cohérent.

Mademoiselle Falcucci
Il faut aussi ajouter que dans les programmes, on nous demande d’aborder l’histoire de l’art. Un enseignant de l’INJS vient d’être formé et amène les jeunes à l’analyse d’œuvres via des sorties au musée par exemple. Ces enfants ne sont pas habitués à appréhender ce que nous appelons la Culture Générale.

Mais cette méconnaissance du contexte culturel et artistique vient de leur situation de handicap ? Pensez-vous qu’ils soient tenus à l’écart ?
Mademoiselle Falcucci
Je pense que leur situation socio-économique souvent difficile joue autant que leur handicap. Nous avons ici des situations sociales difficiles. De plus des problèmes linguistiques dus à la surdité mais aussi à l’origine étrangère de certains parents viennent s’y greffer. Le cumul ne ces différents handicaps fait que nos élèves ont peut-être encore moins accès à la culture que tout autre jeune du même âge.

Elsa Falcucci, vous êtes professeur de biologie. Comment expliquer votre rôle de référent musique au sein de l’INJS ?
Je suis musicienne en plus de mon travail d’enseignante. Au départ, je trouvais cela dommage de ne pas pouvoir partager ça avec les enfants. C’est en rencontrant Daniel Chapy que l’idée de la salle de musique adaptée pour l’INJS est venue. 
Mais je ne suis pas seule sur ce projet. Cela se monte avec la Direction de l’Institut, avec les collègues. Je trouve de plus en plus de soutien même si je reste la porteuse du projet. En fait, il y a beaucoup de professionnels dans l’institution qui pratique, comme moi, un instrument. L’enthousiasme de départ, créé par mon envie, génère une vraie émulation.

D’un point de vue pédagogique, nous utilisons la musique dans le cadre de l’accès à la parole. Ces enfants sourds et malentendants ne sont pas à l’aise avec leur voix. Le chant les aide à lâcher prise et à découvrir l’univers des comptines. Les parents quand ils découvrent la surdité de leur enfant, ne font plus de musique avec lui. L’idée est de réintégrer la musique dans leur quotidien.
Avant les revendications sur la reconnaissance de la langue des signes dans les années 70 , il y avait beaucoup de musique l’Institut. Le fait de légitimement vouloir faire reconnaître la langue de signes a créé un rejet de la musique dans la communauté sourde. C’était considéré comme quelque chose appartenant aux entendants et aux oralistes.

Monsieur Dutheil
Nous travaillons beaucoup à l’INJS pour que les anciennes querelles entre oralistes et signeurs ne resurgissent pas. Nous cherchons à ce que tous les points de vue puissent exister ici.

Comment se déroule un cours de musique ?
Mademoiselle Falcucci
Pour l’instant, nous sommes très pris par la création de notre propre salle de musique adaptée.
Je n’ai pas encore commencé les ateliers musicaux de groupe et ne travaille pour l’instant qu’en séance individuelle dans le cadre des séances de « perfectionnement de la parole et du langage oral ». (Les enseignants CAPEJS ont aussi une « casquette » de pédagogue de la parole et du langage oral, c’est cette double spécificité qui nous différencie des enseignants spécialisés de l’Education Nationale).
En chanson, ils retiennent mieux le vocabulaire et les tournures de phrase.
Quand on fait des tests auditifs sur des enfants présumés sourds (ou des enfants sourds, les audiogrammes sont refaits régulièrement), on envoie une seule fréquence (des sons purs). Or dans la vie de tous les jours, dans le langage oral comme dans la musique, sur certains instruments il ya plusieurs fréquences, des harmoniques. C’est là qu’on peut se rendre compte que si certaines fréquences ne sont pas entendues, d’autres peuvent l’être et donc que le degré de surdité présenté par les audiogrammes n’est pas à prendre au pied de la lettre.

Pourriez-nous parler de la création de la salle de musique adaptée ?
Monsieur Dutheil
Pour ma part, je me suis contenté de trouver une salle et de dégager les moyens budgétaires et trouver des crédits pour l’année prochaine.
L’idée est partie d’Elsa et de ses liens avec Daniel Chapy et l’institut pour jeunes sourds d’Asnières qui a déjà une salle de musique.

Mademoiselle Falcucci
Nous avons tout de suite cherché à ne pas faire seuls. Nous travaillons à la construction de la salle de musique en partenariat avec MESH pour le projet pédagogique et l’entreprise Silences pour les techniques acousmatiques : il faut trouver le matériel de diffusion le plus adapté, savoir où le placer dans l’espace, comment agencer la salle visuellement, où mettre le plancher vibrant …
Cette année on a commandé des instruments plus conséquents pour pouvoir déjà faire des tests avec l’acousmaticien.
Avec MESH, le deuxième volet du projet est d’avancer sur le plan pédagogique pour voir comment on va construire les séances.
Les travaux de sonorisation et d’insonorisation commencent à l’été 2010.

Vous avez souvent des partenariats comme ceux-là ? 
Mademoiselle Falcucci
Silences, MESH, mais aussi la Schola Cantorum, l’école de musique à côté de l’INJS, Daniel Chapy, Anne-Sophie Courderot , la Cité de la Musique… beaucoup de personnes qui sont déjà membres du Réseau Musique et Handicap.